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13.

Fontainebleau d. 5 Nov. 1772.

Stormägtigste Allernådigste Konung!

N:o 2. Enskylt underdanig Apostille.

Dans ma dernière conference avec Mr le Duc d'Aiguillon il me dit qu'il étoit fort faché de n'avoir point encore de nouvelles de Mr Durand. Tout paroissoit cependant annoncer qu'il seroit bien reçu. Le Prince Gallizin, Vice-Chancelier, a écrit ici au Comte de Stroganow que l'on verroit arriver Mr Durand avec un plaisir extrême et que son personel ne pourroit pas manquer d'être agréable à la Cour.

Le sisteme de la Cour de Vienne continue toujours d'être inconcevable. Mr de Caunitz a encore en dernier lieu repeté ses anciens propos sur la Suede. Le Roi de France en est dans une grande colère. Mr le Duc d'Aiguillon en a parlé à Mr le Comte de Mercy d'un ton tout à fait imposant. La Cour d'Espagne, sur ses instances, fait tenir le même language, et il est impossible que cela n'en fasse changer à Mr de Caunitz, sur tout lorsqu'il saura les dispositions de l'Angleterre et la reponse de la Russie.

Sur les ordres que le Roi a donné à Mr de Boisne de se tenir prêt à tout événement, ce Ministre a repondu sur sa tête, qu'il pourroit disposer, quand il plairoit au Roi, de 30 vaisseaux de ligne. Il m'a montré la liste des vaisseaux; le nombre de ceux de ligne va à 67; 25 sont en radoub, 7 vont être achevés encore cette année. Le nombre des fregattes est de 37. Pendant les 18 mois qu'il a été placé, il a eu 40 vaisseaux en mer. mer. Les campagnes ont été faites par 240 officiers, 520 gardes marine et 10500 matelots. Ainsi Votre Majesté voit que jamais la marine de France n'a été dans un état si florissant, ni jamais les

officiers et les matelots si exercés. La diversion que la France faisoit en notre faveur, si nos voisins nous attaquoient, seroit donc tres puissante et imposeroit d'autant plus que l'Angleterre s'est engagée à se tenir tranquile.

Ut in Litteris humillimis

GUSTAV CREUTZ.

14.

Fontainebleau d. 5 Nov. 1772.

Högwälborne Herr Grefwe, Kongl: Maij:ts och Swea Rikes Råd, Cantzlie President, Academiæ Cantzler samt Riddare och Commandeur af Kl: Maij:ts Orden!

Apostille.

On n'entend plus rien parler du Roi de Prusse. Il paroit que ses inquietudes augmentent au lieu de diminuer. Les liaisons entre la France et l'Angleterre lui font sûrement ombrage et le tourmentent au delà de ce que l'on peut imaginer. Il n'ose plus faire de demarches, car il voit que l'on ne se fie plus à lui.

Le Prince Repnin a été ici le jour de la S:t Hubert, mais il n'a point parû à la Cour. Il est venû un nombre incroyable de Seigneurs Russes qui ont été extremement bien accueillis de Mr le Duc d'Aiguillon et sur tout le Prince Kurakin, neveu de Mr de Panin. La disgrace de Mess:rs les Comtes d'Orloff disposera encore d'avantage la Cour de Russie à se prêter aux vûes de la France. C'étoit eux qui étoient les plus animés. Le nouveau favori doit être foible et timide et entièrement devoué à M:r de Panin.

15.

Fontainebleau d. 7 Nov. 1772.

Stormägtigste Allernådigste Konung!

J'ai communiqué à Mr le Duc d'Aiguillon le contenû de la depeche raisonnée de S. E. le President du Conseil de la Chancellerie du 16 Octobre. Il a été frappé de la solidité des raisonnemens dont elle etoit remplie, et il est entré d'autant plus volontiers dans toutes les idées de Votre Majesté qu'elles sont absolument conformes aux siennes, dictées par la saine raison et tendentes au bien général de l'Europe.

Il a seulement fait quelques remarques concernant les liaisons du Roi de Prusse avec l'Empereur. Il ne les croit pas du tout aussi intimes qu'on le dit, et il a même de fortes raisons d'être persuadé du contraire. Le projet de recouvre la Lorraine, me dit il, n'est jamais entré dans l'ésprit de l'Empereur. C'est une fausse confidence que le Roi de Prusse a voulu faire dans l'idée de la faire transpirer indirectement et brouiller la France avec l'Empereur. Il seroit insensé que ce Prince abandonnat ses vues sur la Silesie, province contigue à ses états et qui les arrondoit considerablement, pour les porter sur la Lorraine qui, eloignée de ses autres possessions et au delà du Rhein, seroit impossible de conserver quand même il en pourroit faire la conquete. Mais cette fausse confidence est de ces ruses que le Roi de Prusse ne cesse d'employer et par lesquelles il a deja entrainé la Cour de Vienne et celle de Petersbourg dans des demarches diametralement opposées à leur interet. Maintenant qu'il est demasqué, qu'on connoit les allures de sa politique, il ne faut pas s'y laisser attraper une seconde foi, et ce n'est pas du moins la France qui en sera la dupe.

Mr le Duc d'Aiguillon ne desespere donc nullement de rammener la Cour de Vienne à ses veritables interets. Il

sait que ses allarmes sur les projets du Roi de Prusse sont tout aussi vives que par le passé, et que dès qu'elle aura le tems de se reconnoitre, elle ne tardera pas à joindre ses efforts à ceux des Puissances qui voudroient mettre un frein à son ambition.

Pour ce qui regarde l'Angleterre, il n'oublie assurement rien pour la rapprocher, s'il est possible, encore d'avantage de la France. Chaque pas qu'il fera sera calculé sur ce plan. Mais reste à savoir si la chose est faisable jusqu'à un certain point. Le Ministère Anglois, toujours plus occupé de sa conservation et se chamaillant sans cesse contre le parti de l'opposition, n'a ni le tems ni la liberté de songer serieusement aux affaires du dehors, encore moins de prendre un parti vigoureux ni un expedient convenable aux circonstances et à la situation de l'Europe. Il est plus facile de le retenir que de le faire agir.

Cependant il ne negligera rien pour l'éclairer sur les projets ambitieux du Roi de Prusse, sur les risques que pourroient courrir les possessions du Roi d'Angleterre en Allemagne, et surtout sur le prejudice mortel que le commerce anglois recevroit si ce Prince venoit à se former une marine et envahir le commerce de la mer baltique. Cette insinuation est bonne en même tems à faire à la Cour de Russie. Que deviendroit sa puissance si le Roi de Prusse venoit à avoir une marine et une flotte. On connoit l'activité de ce Prince, ses ressources et ses tresors. S'il s'emparoit de la Pomeranie, il auroit bientôt une armée navale qui feroit trembler Cronstad. Il a dit souvent à d'Alembert et à d'autres qu'il ne seroit content que quand il aura une marine. Il est impossible que la Russie ne sente la verité du danger qu'elle court si la Suede perdoit la Pomeranie, et ces raisons presentées par Votre Majesté et par la France ne pourront pas manquer de produire leur effet et disposer favorablement l'Imperatrice de Russie.

Le Duc d'Aiguillon applaudit infiniment à la resolution que Votre Majesté a prise d'envoyer S. E. le Comte de Posse comme Ambassadeur en Russie, et il renouvellera ses ordres à Mr Durand, ainsi que la Cour d'Espagne l'a fait et le fera à Mr de Lacy, de se concerter en tout avec les Ministres de Votre Majesté et nommement avec le Senateur Comte de Posse.

La reprise du congrès et la paix qui sera peut être faite dans ce moment, feront evanouir tous les projets que la France et la Suede pourroient avoir pour une mediation. Cependant comme il pourra encore arriver des accidens qu'on ne peut prevoir, on ne perdra pas cette idée de vûe. Tout depend de la manière dont Mr Durand sera reçu. On n'a encore aucune nouvelle de son arrivée à Petersbourg. Celà est desesperé, car le tems presse pour prendre un parti.

Les idées de Mr le Duc d'Aiguillon pour la manière de conduire les negociations à S:t Petersbourg sont absolument les mêmes que celles de Votre Majesté. Mes treshumbles depeches precedentes doivent même en faire foy. Les instructions de Mr Durand sont telles que Votre Majesté les desire. La France se charge de tout, et la Suede ne sera sûrement pas compromise. La proposition du renouvellement du traité doit naturellement venir de la Russie et passer par les mains de la France. Il paroit même tres probable que l'on pourra convaincre l'Imperatrice de Russie du peu de fond qu'il y a à faire sur l'amitié des deux Puissances qui lui sont à present unies, et que, n'ayant rien à craindre de la France et de la Suede, leur liaison, loin de lui devenir prejudiciable, ne pourra que lui

être utile.

Voilà, Sire, le resumé de mes conversations avec Mr le Duc d'Aiguillon. Je me propose d'avoir l'honneur de m'étendre d'avantage là dessus avec l'ordinaire prochain.

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