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venir au secours de cette derniere Puissance, et l'Angleterre de son côté s'engageroit de ne pas seconder la Russie si elle attaquoit la Suede, mais laisseroit à la France la liberté de venir à son secours. Comme l'inverse de cette proposition etoit dans ce moment tout à l'avantage de la Suede, le Duc d'Aiguillon n'a pas balancé de l'accepter. Il a fait dire à Mylord Rochefort, que pour lui prouver combien ses vûes étoient pacifiques, il y souscrivoit entièrement. Il lui faisoit envisager en même tems la necessité de retenir la Russie et les autres Puissances qui pourroient avoir envie d'inquieter la Suede; et que la France et l'Espagne étant dans la ferme resolution de defendre la Suede avec toutes leurs forces et contre tous, si la guerre venoit à éclater dans le Nord, l'embrasement ne tarderoit pas à devenir général.

Cette declaration ne pourra gueres manquer de produire le plus excellent effet. D'un côté elle rassure le ministère Anglois sur les dispositions de la France à maintenir la tranquilité de l'Europe; et de l'autre elle impose à tous ceux qui voudroient la troubler. Cette espece de logique est très persuasive et detruit tout d'un coup tous les sophismes d'une politique oblique et tortueuse. C'est elle que Mr le Duc d'Aiguillon a observée vis à vis de l'Angleterre depuis son avenement au ministère. C'est elle qui a établi l'opinion de sa franchise, de sa fermeté et de sa droiture.

L'Angleterre est très en colère contre le Roi de Prusse à cause des nouveaux droits qu'il vient d'établir sur le commerce de Danzig. On ne sait pas encore le parti qu'elle prendra; si elle se concerte avec la Hollande et les autres Puissances commerçantes, la France pourra joindre alors ses reclamations aux siennes et unir ses efforts pour empecher la destruction totale du commerce de Danzig; en attendant, il est de l'interet de la France de paroitre plutôt se reposer aux vûes de l'Angleterre que de les lui

Historiska Handl. 3 Del.

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suggerer. Trop d'empressement les rendroit suspectes. Il faut qu'elle se fasse respecter et craindre du Roi de Prusse, qu'elle le laisse dans l'incertitude et le doute sur ses veritables intentions à son égard. C'est un état de gêne insupportable pour ce Prince qui le tourmente et le retient. Il ne s'agit pas de sauver Danzig, il s'agit d'assurer le repos de la Suede, et tandis qu'il ne sera pas tranquil sur ses nouvelles possessions, qu'il ne saura pas à quoi s'en tenir sur la façon de penser de la France et sur le parti qu'elle se propose de prendre, ses inquietudes redoubleront, et il ne voudra pas par de nouvelles violences forcer les plus grandes Puissances de l'Europe à se declarer contre lui.

La voye des negociations ne réussit pas avec ce Prince; il faut se garder bien de discuter avec lui; lui faire la moindre avance; il faut le voir venir; c'est alors qu'il perd tous ses avantages. Voilà pourquoi Mr le Duc d'Aiguillon a dit à Mr de Goltz, lorsqu'il lui a notifié le partage de la Pologne: qu'il le savoit deja et qu'il n'avoit aucune reponse à lui faire la dessus. Celle de l'Angleterre n'est pas moins vague. Aussi ce Prince a-t-il deja voulu communiquer ses allarmes à la Cour de Vienne en lui faisant entrevoir que la Cour de France et l'Angleterre preparoit une ligue pour s'opposer au partage de la Pologne.

Mr le Duc d'Aiguillon attend avec impatience la reponse de la Cour de Vienne. On saura alors definitivement où l'on en est avec elle, et si l'on peut compter sur son secours et sur ses bons offices la Suede. Il espere pour que ses insinuations auront fructifié. Il est impossible que l'Imperatrice Reine en n'ouvre enfin les yeux sur ses veritables interets. Les dernieres conversations de Mr le Comte de Mercy donnent de bonnes esperances; mais les nouvelles de Vienne annoncent que le congres pourroit bien recommencer et la paix se faire pendant l'hiver.

On n'a point encore ici des nouvelles de l'arrivée de Mr Durand à S:t Petersbourg. La réussite de l'objet de

sa mission tient fortement au coeur à Mr le Duc d'Aiguillon. Son parti est pris et il est tres determiné à employer tous ses efforts pour detacher la Russie, s'il est possible, de la ligue formidable qui s'est formée.

Jag framhärdar med diupaste wördnad samt undersåtelig nijt och trohet

Eders Kongl: Maij:ts

aldraunderdånigste tropligtigste undersâte och tjenare

GUSTAF CREUTZ.

12.

Fontainebleau d. 1 Nov. 1772.

Stormägtigste Allernådigste Konung!

Dans la conversation que j'eus avec Mr le Duc d'Aiguillon je lui demandoit quel étoit son sentiment sur le parti qu'il y avoit à prendre par raport aux nouveaux droits que le Roi de Prusse établissoit sur le commerce et la navigation de Danzig? Sa reponse etoit parfaitement conforme à l'idée que j'ai eu l'honneur de presenter à Votre Majesté dans ma dernière depeche. Il me dit qu'il étoit resolu d'attendre ce que l'Angleterre faisoit avant de se determiner à quelque chose relativement à cet objet. Que si le Ministère anglois etoit porté de soi même à se concerter avec la France la dessûs, il ne tarderoit pas à en faire l'ouverture à Mr le Duc d'Aiguillon, et alors il en resulteroit le double avantage d'imposer au Roi de Prusse par une reclamation combinée et d'affermir la confiance et les dispositions amicales qui commençoient à s'établir entre la France et l'Angleterre.

Le Ministère d'Angleterre commence deja à se raporter en bien des choses aux lumières et à la bonne foi de Mr le Duc d'Aiguillon. Mylord Rochefort a été enchanté de ce qu'il a voulu accepter la proposition qu'il lui a faite relativement aux affaires de la Suede, et dont j'ai eu l'honneur de parler dans ma precedente depeche. Cela est allé au point qu'il a declaré nettement au Ministre de Russie. à Londres que la Russie fait fort bien de ne pas inquieter la Suede, par ce qu'elle trouveroit la France sur son chemin, et que l'Angleterre étoit nullement disposée alors à la seconder.

Mr le Duc d'Aiguillon a bien voulu me confier un extrait de ses lettres au Ministre de France à Londres qui en fait mention, et que j'ai l'honneur de joindre ici. Il suplie Votre Majesté de le garder sous le sceau du plus grand secret. Voilà un point majeur que nous avons gagné et qui surpasse notre ésperance. L'Angleterre sera bien moins delicate vis à vis du Roi de Prusse que vis à vis la Russie; et la reponse misterieuse qu'on a fait au Ministre de ce Prince, lui donnera sûrement de l'inquietude. C'en est assez pour absorber toute son attention. Lorsqu'il s'agit de conserver ce qu'on a acquit par des tîtres si peu legitimes, on ne songe pas à s'attirer des nouvelles affaires sur les bras. Il faudra du tems pour consacrer des possessions si enormes, et si l'Angleterre et la France s'entendent, ces possessions pourront encore devenir fort precaires.

Les lettres de Vienne disent que le congrès de Fockzany a repris, et que l'armistice est publié de nouveau pour 40 jours. Cela est fort facheux dans les circonstances actuelles, et si la paix se fait cet hiver comme il est vraisemblable, la Russie deviendra fort à craindre pour nous; Mr le Duc d'Aiguillon trouve donc qu'il est de la dernière importance pour nous de gagner cette Puissance par de bons procedés, de la detâcher, s'il est possible, de la triple ligue et de la lier avec la France et la Suede.

Je repetai ce que j'avois deja dit, que la Suede ne pouvoit pas faire les premieres propositions pour le renouvellement du traité sans se compromettre; Que les Russes, loin d'être touchés d'un pareil procedé, pourroient la regarder comme une foiblesse de notre part et comme un effet de la crainte que nous avions; Que la Russie nous prescriroit alors des loix et exigeroit peut être des choses dangereuses pour notre independance et incompatibles avec notre liaison avec la France; Que cela pourroit même diminuer l'amitié et la confiance que la Porte Ottomane avoit pour nous et qu'il etoit bien important de conserver; Que si nous n'entrions point dans toutes les vues de la Russie, notre demarche n'auroit servi qu'à l'aigrir au lieu de gagner son amitié; Mais que si les premieres propositions venoient de la Russie, alors, poursuivis-je, le Roi feroit aucune difficulté de Se prêter aux vues de la France pour se lier avec la Russie et qu'il en sentoit tous les avantages et toute l'utilité. Le Duc d'Aiguillon trouva ce raisonnement tout à fait analogue à ses idées, et il m'a chargé de remercier Votre Majesté de ce qu'Elle veut bien entrer dans ses vues et approuver un sisteme imaginé pour le bien de la Suede. Il se chargea de toutes les demarches à faire et de prevenir tous les inconveniens qui pourroient en resulter pour la Suede. S'il vient à bout de rompre une ligue qui menace toute l'Europe, il se croira d'autant plus heureux que Votre Majesté se verra par là en état de rendre à la Suede le poid qu'elle doit avoir dans la balance des Pouvoirs.

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Eders Kongl: Maij:ts

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GUSTAV CREUTZ.

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